04. Sous la toison argentée

Quelqu'un me secouait l'épaule, me priait de me réveiller.
Je voulais qu'il me laisse, pour que je puisse retourner à mes rêves, qui étaient si saisissants.
J'étais au sommet d'une montagne, dominant le monde. J'écartai les bras, comme un oiseau prêt à l'envol. Le vent s'engouffrait en moi, il fouettait mes bas, balayait mes cheveux.
Puis quelqu'un approchait. Ces pas ... je les aurais reconnus entre mille.
Je baissai mes bras, puis pivotait lentement.
Il me faisait face, ses cheveux noirs ébouriffés, ses yeux me fixant ...
Je crus défaillir. Puis il ouvrit la bouche pour parler ...
- Nola ! Réveille-toi, bon sang !

J'émergeais alors.
Sofia me fixait, par dessus les épaules de Matt, qui était penché sur moi.
- Si tu veux toujours voir les étoiles et le lever du soleil près du gouffre, faudrait te préparer, et en vitesse.
- Accorde moi cinq minutes.
Il sourit, puis s'assit en tailleur sur le sol.

Nous avions prévu de passer le reste de la nuit hors de l'internat. Matt voulait m'emmener voir les plus belles étoiles du monde, de son poste d'observatoire favori.
Evidement, nous n'avions pas le droit de sortir ... Mais j'étouffai, et un peu de liberté et de témérité me feraient du bien.

J'enfilai un sweat par dessus on T-shirt, et un jean. Je laçai rapidement mes baskets, puis prenait mon sac en bandoulière.
- Je suis prête.
- Allons-y. Bonne nuit, Sofia. Désolé de te laisser ici ...
- Une virée en couple à trois ne serait plus romantique. Filez !


Allongés dans l'herbe fraîche, nous fixions les étoiles qui nous dominaient. Nous étions au sommet d'une petite colline, et la nuit nous enveloppait.
- Magnifique spectacle.
- Ne te l'avais-je pas promis ?
- Je t'ai fait confiance, mes certains miracles ne sont pas fait pour être décrits, mais pour être vus.

Cette nuit avait été sereine. Nous étiions restés jusqu'à l'aube sur la colline, puis nous étiions rentrés par une fenêtre ouverte.
Matt était tombé, et nous en rions encore lorsque nous commençâmes notre journée de cours.

Ma mère avait peut être eu raison, tout compte fait. L'éloignement m'avait profité : je ne pensais plus que rarement, c'est-à dire chaque nuit, à Alex.
Et ce n'était plus avec ce désespoir qui m'avait tant habitée. J'étais résignée, et j'avais accepté cette situation. Je remerciais seulement le ciel de m'avoir accordé ce bonheur.

Certains pourront croire que je sortais avec Matt pour remplacer Alex.
C'était faux, et je ne me serais jamais rabaissée à cette lâcheté.
Alex était irremplaçable, et j'étais avec Matt car il voulait de moi, et je ne voulais pas le rendre malheureux.

Dans la soirée, je téléphonais à ma mère, ce que je n'avais pas fait depuis longtemps.
Entendre sa voix, que je n'avais pas ouïe depuis plusieurs mois -car je n'étais pas rentrée depuis la rentrée-, me fit du bien :
- Bonjour, maman.
- Nola ! Il s'est passé quelque chose ?
- Euh ... non. Je peux quand même t'appeler juste pour papoter, non ?
- Si. C'est juste que j'avais pris l'habitude de ne pas avoir de tes nouvelles sans devoir te téléphoner.
- Désolée, j'avais des tonnes de trucs à faire. Comment vont Papa et Audrey ?
Comme je m'y attendais, elle se lança dans un long récit.
- Ton père vient d'avoir une promotion, le mois dernier. Tu te rends compte ? Il travaille en tant que chef chirurgien dans le plus prestigieux hôpital de la ville ! Nos revenus ont tellement augmentés que nous projettons d'acheter une maison de vacances au bord de la mer.
Et nos prochaines vacances ... Tu ne devineras jamais notre destination ... Une île déserte, perdue dans le Pacifique, où il y a un micro-climat ! Nous serons seuls, il y aura seulement le ravitaillement tous les trois jours ... Tu te rends compte ?
J'ai prévu d'emmener ...

Je décrochais de son blablatage de snob. Je détestais ma mère, quand il s'agissait de jetter l'argent par les fenêtres.
Nous ne pouvions pas nous contenter de passer une semaine au bord de la mer dans un bungalow ?
- Et tu auras une chambre dans la maison, qui fait 400 m² ...
- Je ne pense pas que je viendrai, maman.
- Mais ... pourquoi ?
- J'ai l'intention de travailler, pour payer mes études.
- C'est ridicule ! Ton père et moi avons largement assez pour t'aider, ma chérie.
- J'ai vraiment envie de gagner ma vie grâce à moi, maman. Sinon, ça n'aura plus aucun goût, et je n'aurais aucun mérite.
- Je ne te comprends pas.
- Ca me tient juste à coeur.
- Si ça peut te faire plaisir. Mais j'espère que tu ne profiteras pas de notre absence pour faire des choses réprouvables ...
- Je suis majeure, maman. Tu as dû louper mon anniversaire, c'était il y a un mois !!
Comment va Audrey ?
- Tu lui manques.
- C'est réciproque.
- Tu viendras, la semaine où vous êtes libérés pour les révisions ?
- Oui.

Je ne le voyais pas, mais j'étais sûre qu'elle souriait.
Après encore quelques banalités, nous finîmes par nous dire au revoir.

Ma gorge était serrée, à l'évocation d'anniversaire.
Aujourd'hui, c'était celui d'Alex.
L'année dernière, j'étais trop préoccupée à l'oublier pour le lui souhaiter, mais cette année ...
Quand Sofia entra dans la chambre, je fus prise d'inspiration.
- Tu peux me prêter ton portable ?
- T'as plus de crédit ?
- Non.

Elle me tendit son mobile blanc, et je tapai rapidement un sms.
" Joyeux Anniversaire. Je n'oublierai jamais. Merci."
Je ne signai pas. C'était lâche, je le savais, mais je voulais tester sa réaction. Voir s'il me répondrait.
Et je me détestais.
Car j'espérais déjà.

Je méditais sur mon lit. Pour une fois, j'étais seule, et j'étais sûre qu'on ne me dérangerait pas.

Alex n'avait pas répondu à mon message. Cherchant à me mentir, je lui vais inventé des excuses.
Nous avions été séparés depuis si longtemps, et il n'avait pas reconnu ma marque dans le message.

Mais la vérité s'immiscisait lentement en moi, celle que j'avais toujours refusé d'admettre.
Il était passé à autre chose, avait rencontré une autre fille, qui me remplaçait.

Je montai le volume de la musique, et prenais une poignée pleine de smarties.
Pourquoi m'accrochais-je donc tant à ça, et pourquoi refusais-je de l'oublier ?
Je connaissais la première raison : je ne voulais pas oublier les plus belles années de ma vie, celles où il avait toujours été présent pour moi.
Et la deuxième raison ... je l'aimais.
J'avais essayé tant de fois de le lui dire, mais mes tentatives étaient toutes tombées à l'eau.

Quand à Matt ... J'aurais dû le quitter, ce n'était pas sain de le fréquenter alors que je désirais de toute mon âme d'autres bras que le siens ...
Mais je savais qu'Alex ne viendrait plus me retrouver. Et je n'aurais pas le courage d'aller le voir.
Et si je quittais Matt, je ruinerais sa vie.

Je devais au moins attendre la fin de l'année. Quand il aurait son bac ... je le quitterais en douceur.
Mais n'était-ce pas lâche ? De lui mentir, encore toutes ces semaines ...

Sofia entra dans la chambre, trois classeurs coincés sous son bras.
- Toujours en méditation, Nola ?
Je m'assis sur mon lit.
- Sofia ... j'ai besoin des conseils d'une amie.
- Je t'écoute.
- Je vais quitter Matt.
- Mais ... pourquoi ?
- Je n'arrive pas à oublier Alex, et je ne veux plus continuer à mentir à Matt. Il mérite mieux.
- Si tu le fais maintenant, tu peux être sûre qu'il n'aura pas son bac.
- Je sais. Mais continuer à lui mentir aussi longtemps ...
- Continue. Tu sais, Nola, je vais être franche avec toi. Avant que tu arrives, Matt était mon meilleur ami. Si tu n'étais pas arrivée, j'imagine qu'aujourd'hui, il serait mon petit ami.
A chaque fois que je vous vois ensemble, j'ai envie de pleurer.
Je l'aime, Nola. Mais il est heureux ainsi, et c'est toi qu'il désire.
Et je t'interdit de lui faire du mal.
- Tu ... l'aimes ?
Elle rit.
- Que la vie est compliquée. Mais ne te torture pas avec ça. Ce n'est pas ta faute si tu es si attirante.
- Je suis désolée, vraiment, Sofia. Je ne m'en serais jamais douté, et si j'avais su ...
- Si tu avais su, ton coeur serait en miettes. Matt t'a reconstruite, reconnais-lui quand même ça. Il sait parfaitement que tu l'abandonneras, mais il s'en fout. Protège le jusqu'au bac, puis explique toi avec lui. Il le sait déjà, mais l'entendre de toi l'aidera à tourner la page. Et ... je resterais avec lui.

Je souriais à Sofia. J'avais causé plus de dégâts que je n'aurais pensé.
Je sortais dans le parc.
Dans deux jours, je rentrerai chez moi pour les révisions.
Et je serais plus proche d'Alex que je ne l'avais jamais été depuis deux ans.