06. Visite

Je descendai du train. Je portais juste mon sac en bandoulière, vu que je ne resterais que la journée.
Ces deux semaines avaient été atroces.
Pas parce qu'Alex n'étais pas à mes côtés -nous nous étions téléphonés environ tous les deux jours-, mais parce que j'avais dû affronter Matt.
La rupture avait été assez brutale pour lui ...

Je l'avais retrouvé dans sa chambre. Il m'avait fixée, puis avait lancé, apparemment très heureux de me revoir :
- Ca t'a fait du bien d'être chez toi, tu as vraiment bonne mine !
Il s'était approché pour m'embrasser, mais je m'étais écartée brusquement. Croyant que je le taquinais, il m'avait saisi par la taille et m'avait attiré de force contre lui.
- Lâche-moi, Matt. Il faut qu'on parle.
Il avait hésité, puis m'avait libérée. Il s'était assis sur son lit, je l'y avais rejoint, mais à une distance prudente.
- Alors ?
- Je ne veux plus continuer, Matt. Ce serait de l'hypocrisie, et je refuse de la pratiquer. Je ne t'ai jamais menti, mais les choses ont changées.
- Tu es en train de me larguer ?
- Oui.
Il avait fixé pendant de longues minutes le mur en face de lui, sans prononcer un mot. Puis il avait murmuré :
- Alex ?
- Oui.
- J'aurais dû t'accompagner.
- Ca n'aurait rien changé, Matt. Je me suis mentie en croyant pouvoir l'oublier.
- Et tu vas me sortir "restons amis" ?
- Je t'apprécie vraiment, Matt, mais pas dans le sens que tu désires. Et je comprends que tu ne veuilles plus me voir. Je disparaîtrais si tu me le demandes.
- Je ne te ferais donc pas changer d'avis. Je t'aime, Nola, ne l'oublie jamais. Je serais toujours là pour toi.
- Merci, Matt. Mais oublie-moi, et trouve-toi une petite amie digne de ce nom.
- Sois heureuse.
- Toi aussi.

Nous ne nous étions plus parlés depuis, juste croisés dans les couloirs. Je lui avais souris, lui m'avait regardé avec une mine pensive.

Je chassai ces pensées de moi. Alex était sur le quai, et me regardait, se demandant pourquoi je restais plantée là.
Je courus me jetter dans ses bras.
Il me serra fort, puis recula légérement pour m'embrasser.
Il me relâcha, puis prit ma main.
- Prête ?
- Evidemment, du moment que tu ne me lâches pas d'une semelle !
- Allez, viens, on y va. Tout le monde nous attend.

Je patientais sur le quai depuis plus d'une heure.
Le bac était finit et je m'en étais pas trop mal sorti. Je visais la mention assez bien. C'est dire. Je n'aurais toutes fois les résultats qu'au courant du mois d'août.
Je changeais de jambe d'appuis pour ne pas avoir de crampe. Et je commençais à flipper. Et si elle ne venait pas ? Aujourd'hui était le jour des portes ouvertes et si elle ne venait pas, Lucas en profiterai pour me le rappeler toute le reste de ma vie. Imaginez que ce Matt l'avais fait changer d'avis ? Ou que sa mère l'ai emprisonnée dans un donjon pour ne pas qu'elle me voit ? Ok, elle m'avait présenté ses excuses mais je doutais toujours sur sa sincérité.
Mon portable vibra. Lucas. Un mot : Alors ?
Je répondis en quelques lettres : Ben alors j'attends.
La réponse ne tarda pas : Hihi ^^
Et le pire dans cette histoire, c'est que je ne pouvais pas lui en vouloir.
Enfin un train arriva en gare et avec lui un flot de passagers. Je me mis sur la pointe des pieds pour essayer de distinguer son visage en vain. Je désespérais lorsqu'une main le posa sur ma taille et qu'un corps se blotit contre le mien. Je n'eut pas besoin de la regarder, je l'avais reconnu à son odeur, fraiche et boisée.
- C'était pas dans le bon train que tu me cherchais...
- Je le savais. Tu me prends pour qui ?
Nola rigola et me pris par la main.
- Prête ? lui demandai-je.

Lucas fut le premier à nous accueillir et se jeta sur elle pour lui déposer une bise sur la joue, un peu trop près des lèvres de Nola à mon goût. Je le pris par le cou et l'éloignai de ma bien-aimée.
- Lucas, Nola. Nola, Lucas. Maintenant retourne dans ton trou !
Elle resta là, trop perplexe encore pour réagir et lui, comme un crétin, se mit devant elle et lui fit une révérence.
- Bienvenue au paradis, princesse.
Puis voyant mon regard noir, c'est vrai à la fin, il se prenait pour qui ?, il ajouta :
- Rooooh c'est bon, il y a pas écrit "Réservée à 'Lex" après tout !
Je souriais et lui envoyai une bourrade dans les côtes alors que toute la bande vint dire le bonjour à "celle dont Alex n'arrête pas de parler". C'était vrai ce mensonge ? J'en parlais un peu mais pas à ce point.
- Arrête, tu nous en parle TOUT LE TEMPS ! On sait tout sur elle, qu'elle aime la glace à la fraise, qu'elle a une sœur, que ses vieux sont médecins,...
- Alex m'a aussi parlé de vous, intervint Nola, il me parle de cette rencontre depuis... des semaines ! C'est vrai qu'il s'est mis à la musique ?
- Ouais. Même qu'il est pas mauvais du tout... Hein jeune padawan ? dit Lucas.

Nous étions arrivés depuis une heure dans le lycée d'Alex, et je n'avais pas autant rit depuis.
Ca changeait beaucoup de ma mine sinistre, de mon stress, et des regards peu avenants des autres.
Ici, tout le monde semblait me connaître, comme la petite amie d'Alex, et ils étaient vraiment sympas.
Alex s'était lié avec pas mal de monde, contrairement à moi.

Il m'avait fait visité la totalité de son bahut -même les WC-, et nous avions fini par nous retrouver dans sa chambre, qu'il partageait avec Lucas, enfin seuls.
Je m'étais assise sur le sol, et il m'y avait rejoint.
- Tes amis sont vraiment sympas !
- Surtout Lucas, hein ?
- Tu es jaloux !
Il leva les yeux au ciel.
- T'inquiète, j'adore ça, que tu veuilles me garder seulement pour toi. Je me plie à ce sacrifice avec joie.
Il posa ses mains sur mon cou, et m'embrassa. Nous nous allongeâmes à même le sol, nos lèvres toujours collées.

Moment d'intimité volé, Lucas entra dans la chambre.
- Oups ! Je pensais que vous étiez plus sérieux ... Bon, Alex, on a un morceau a jouer avec le groupe, alors tu lâches la demoisellle et tu te la ramènes vite fait, on va être en retard !
Alex se releva, et m'aida à me lever.
- Tu pourrais frapper avant d'entrer, marmonna-t-il. Faudra que je t'apprenne les bonnes manières...

Dix minutes plus tard, alors que j'étais assise au premier rang, relations obligent, le groupe d'Alex commença à jouer.
J'en fus estomaquée. Je n'avais jamais entendu plus belle mélodie.
Et Alex était encore plus beau devant son piano...

Quand la chanson s'arrêta, je m'approchai de l'estrade.
- Alors, t'as trouvé ça comment ? me demanda Alex.
- Génial ! Vous devriez enregistrer un CD, c'est vraiment super !
- Il y a un poste de groupie vacant, me proposa Lucas.
- Elle m'est reservée, siffla Alex. Tu ferais mieux de t'en souvenir...
- Vois comment elle me regarde, railla Lucas en m'adressant un clin d'oeil. Elle meurt d'envie de se jetter dans mes bras.
- Ne prends pas tes rêves pour des réalités, Lucas, intervins-je.
- Aaah, les filles sont toutes les mêmes... soupira l'intéressé.

Ce petit débat fut interrompu par l'arrivée d'Hanoko, la petite amie de Lucas. Je souris en les voyant s'embrasser. Ils formaient vraiment un beau couple.

La journée fila, entre représentations diverses, repas et rires incessants.
Alors que mon train devait arriver dans une heure, ALex m'emmena dans la cour du lycée.
Il m'assit sur ses genoux, et nous regardâmes en silence le coucher du soleil derrière les arbres.
- J'aimerais que cette journée ne finisse jamais, soufflai-je.
- Nous aurons bien d'autres occasions.
- Mais chaque journée, chaque heure et chaque minute passées avec toi sont uniques, éphémères et parfaites.
- Tu comptes faire quoi ces vacances ?
- Mes parents et Audrey partent en vacances un mois. J'ai trouvé un job à la librairie de mon quartier.
Et l'après-midi ... si tu es là, je m'imiscerais très volontiers dans ta vie.
- Parfait ! Je travaillerais aussi le matin, mais dans une boutique de sport.
- Et à la rentrée ? Quels sont tes projets ?

Mes projets ?
Lucas allait me réquisitionner pour faire des répétions, on avait prévu un concert pour le 30 novembre et qu'il voulait que je l'aide à composer.
J'avais été accepté dans une école d'infirmier à Bordeaux, je pourrais donc faire mes études et rester chez moi. Ou louer un petit studio dans le centre je ne savais pas encore.
Et puis la boutique de sport me permettrai d'avoir un petit salaire : j'y travaillerai pendant quelques mois à raison d'une dizaine d'heures par semaine.

Je lui expliquais mes projets à courts termes et lorsqu'elle me demanda ceux à longs termes je lui dit d'une voix neutre :

- Je veux mourir tranquillement et pouvoir me dire : j'ai réussis ma vie. Tu sais que j'aime les compétitions, surtout quand je gagne. Et je veux que mon existence soit la plus belle victoire de tous les temps.

Elle ne dit rien mais je savais que je l'avais surprise en disant ça. C'était comme le piano : elle ne pouvait pas m'imaginer dans la médecine... ou dans la philosophie !
Je me suis rendu compte que je ne cherchais que le bonheur. Aujourd'hui je l'avais, demain je le trouverais. Encore.

- Et toi ? Tu le vois comment l'avenir proche ? Avec ou sans moi ?

Je souris en voyant son air choqué, elle répliqua, frustrée :

- T'as toujours pas compris que sans toi mon avenir n'existe pas ?

Je lui lançais un demi-sourire un peu triste. C'étaient de beaux mots. Et j'espérerais de tout mon cœur que demain elle les penserait aussi.

De tout mon cœur et de toute mon âme.

Un train partit de la gare. J'émis un petit rire, la faisant sursauter puisqu'elle était assise sur moi. Mon petit rire se transforma en fou rire incontrôlable. Elle m'interrogea du regard en haussant un sourcil, perplexe.
Le train qui venait de quitter la gare, c'était le sien.

Il riait bien trop fort, et j'étais légèrement frustrée qu'il ne me dise pas pourquoi. Je regardais alors la grande horloge de la gare.
Mon train venait de partir.

- Espèce d'idiot ! rigolai-je. Je vais dormir où, maintenant ?

Il sourit et ébourrifa mes cheveux. Comme d'habitude, je râlai et me recoiffai avec mes doigts.
- Alors, tes projets ?
- Je vais essayer d'intégrer l'école hôtellière, et après ... je pense que si j'ai suffisemment d'argent et de motivation, j'ouvrirai un restaurant. Je sais, c'est sûrement en-dessous de mes capacités, sans vouloir me jetter des fleurs, mais c'est ce que je veux faire. Je ne vais pas gâcher ma vie avec un métier certes prestigieux, mais où je m'ennuie à mourir.


Il fixa le quai quelques secondes, puis me releva d'une main. Il se leva à son tour.
- On va te faire entrer dans l'internat. J'entends déjà les insinuations de Lucas ... soupira-t-il.


Une demi-heure plus tard, j'étais dans sa chambre. Alex avait viré Lucas -qui s'était fait une joie de rejoindre Hanoko-, et nous étions seuls.
J'aurais voulu parler avec lui toute la nuit, mais le sommeil eût raison de moi seulement une heure après.
Je m'endormis dans ses bras, avec une très forte impression de déjà-vu. Il fredonnait la chanson de son groupe, et je souris, déjà dans les vapes.

Je me réveillai aux premières heures du jour. Alex me serrait toujours contre lui, et je me retournai le plus doucement possible pour être face à lui.
Son visage était lisse, parfait. Je posai ma main sur son cou, et remontai jusqu'à sa joue.
Il marmonna quelque chose, et ouvrit brusquement les yeux.
- Désolée, je ne voulais pas te réveiller, chuchotai-je. Rendors-toi.
Il me sourit, et enfouis sa tête dans mon cou. Dix secondes plus tard, il dormait à nouveau.

Tout se passerait bien, désormais. J'étais quasiment sûre qu'Alex ne me quitterait pas.
L'été se passerait bien, je serais très probablement avec lui.
Et à la rentrée ... je voulais intégrer l'école hôtellière de Paris. Si j'étais prise, je devrais partir.
Mais je n'avais aucune envie de m'attarder sur mon futur. Je vivai l'instant présent, et adviendrait ce qu'il adviendrait.