07. Chacun suivra son chemin

Le temps, à son instar, avait suivi son cours. Pour la première fois, je n'avais pas résisté aux assauts du destin, et je m'étais laissée emportée. Lorsque je me regardais dans un miroir, d'ailleurs, je me faisais l'impression d'une guimauve. J'étais un cas desespéré.

A ma grande joie, j'avais été admise à Paris. Après le plus merveilleux été de ma vie, passé en compagnie d'Alex, j'étais donc partie -non sans me retourner-.
Ce départ m'avait attristée, mais j'étais presque sûre que nous nous reverrions très prochainement.

J'avais donc passé deux ans et demi entre les murs blancs et impeccables de l'école hôtellière de Paris. Deux ans et demi pendant lesquels je n'avais plus eu le droit d'enfiler un jean et un sweat, où on m'avait transformée en psychorigide, maniaque et perfectionniste.
Ca forgeait le caractère.

A ma plus grande surprise, j'avais enduré sans broncher cette autorité. Alors que j'étais attachée à ma liberté, que je détestais qu'on me dicte ma vie et qu'on me juge, j'avais persévéré;
Pour être franche, je m'étais raccrochée à Alex quand j'étais à deux doigts d'exploser, et j'avais résisté.


Je fis glisser mes doigts sur le marbre blanc du comptoir.
Ainsi, et seulement grâce à moi, cet endroit m'appartenait. Je n'étais pas du genre à être orgueilleuse, mais j'étais plutôt satisfaite de moi.
Les murs, que j'avais peint la veille, étaient secs.
La couleur vert pomme me plaisait vraiment.
L'endroit était classique, mais j'aimais.
Chaque table possédait deux bougies pour l'éclairage, et j'avais accroché quelques tableaux sur les murs.
Au centre de la pièce, une petite estrade, avec un piano à queue. J'avais engagé une pianiste pour mettre un petit fond.

Demain soir serait l'inauguration, la première soirée, qui plus est décisive pour mon avenir. Il faudrait que je me surpasse.

Irène, une trentenaire pleine de joie de vivre, qui serait serveuse, et Glenn, mon cuisinier, devraient arriver dans quelques minutes pour un petit topo. J'étais vraiment devenue maniaque.

Quand à moi, je m'occuperai un peu de tout. J'aiderais Glenn aux cuisines, je servirai au bar avec Irène, et je virveloterai entre les tables.
Je m'exhortais au calme. Tout se passerait bien, pour peu que je reste sereine.

Mon portable vibra dans ma poche. Je décrochai.
- Oui ?
- C'est moi. Tu auras besoin de moi demain soir ? Je dois m'organiser, j'ai pas mal de boulot.
- Ca serait bien que tu sois là.
- OK. Je te laisse. Je t'aime.

A mon habitude, je ne répondis rien et raccrochai.
Une boule se forma au fond de ma gorge.

La savane, ses animaux sauvages, ses tribus indigènes, ses points d'eau, ses habitants accueillants, son soleil de plomb, son vent rare, son herbe jaunie... tout dans ce paysage allait me manquer terriblement.

Le coucou décolla dans un terrible vacarme de fin du monde. L'avion de mon ami Esam, je l'avais déjà pris une bonne centaine de fois, pourtant j'avais toujours une angoisse pas totalement inexpliquée au moment du décollage... et de l'atterrissage.

Je ne sais toujours pas ce qui me faisait le plus flipper : lorsque les ailes bougaient comme si elles allaient s'arracher, ou quand l'hélice faisait des siennes quand on approchait du sol, à moins que ce ne soit la fois où on avait pété les roues sur l'asphalte.
Bref, Esam et son "bolide", comme il dit, c'est toute histoire.

Mais à ce moment là, je n'avais plus peur de son tas de ferraille. Ma seule inquiétude était de ne jamais revoir cette terre d'amour et de simplicité. Si ça se trouve, pensais-je à ce moment là, quelque chose de plus grand encore allait me convaincre de rester là-bas.

Perdu dans les airs et dans mes pensées, je me remémorai notre rencontre, trois ans plus tôt, lors de ma première mission en Namibie. Je n'étais alors qu'au jeunot dans l'humanitaire, un peu fou, la tête dans les nuages et le coeur en France. Depuis je n'étais revenu dans mon pays natal qu'une fois pour voir ma famille qui n'avait aucune nouvelle : j'avais, je dois le dire, la flemme de leur écrire alors ils se faisaient un sang d'encre. Aujourd’hui j’ai un peu honte, mais à l’époque je m’en foutais comme de ma première dent.

C’est en Namibie que je suis devenu un homme, avec un but, sérieux, généreux, organisé, sauveur de nombreuses vies, amis avec pleins de gens, des gens sur qui je suis sûr de pouvoir compter, des gens qui peuvent compter sur moi.

J’avais encore des contacts avec Lucas et la bande mais je n’avais plus de nouvelles de Nola. Ca me trouait le cœur et c’était pour cette raison que je faisais un break pendant quelques mois avant de repartir en Afrique.

Esam se posa en douceur sur le bitume de l’aéroport de Windhoek, la capitale, me permettant ainsi de prendre un vrai avion, un Boeing, pour rejoindre ma country. Parce qu’avec son bordel on aurait même pas pu atteindre la mer la plus proche !

- Prends soin de toi blanc bec.
- Toi aussi l’indigène ! Ne t’inquiète pas je reviendrais. Je sais que sans moi t’es perdu alors je me force à revenir pour toi !
- Te force pas trop quand même, dit-il en me souriant.

Je montais dans l’avion avec l’image de ce sourire amical dans la tête.

Plusieurs heures plus tard, j’arrivais enfin à Bordeaux. Dans une vitre je m’observai : plus grand, plus bronzé, plus musclé, sûrement plus beau, indéniablement différent, et pourtant toujours le même. Lucas m’avait dit que Nola avait ouvert son propre restaurent dans la ville, déposant donc mes maigres bagages dans ma famille très étonnée, qui n’eut le droit qu’à un « -J’vous expliquerais plus tard. Question de vie ou de mort. Oui je vais bien. Merci. » d’explication, je m’y rendait, presque en courant.
On approchait des sept heures, il venait juste d’ouvrir.
Parfait.

On m’installa à une table avec un sourire ; j’étais leur premier client.
L’endroit était spacieux, propre, agréable, grand, bien décoré, classe, beau, il était Nola.

Et au milieu, une scène avec un piano.

Je m’installai confortablement et j’attendis les réjouissances.


J’étais dans la place.

[ j'ai juste corrigé, t'arrive pas le soir de l'inauguration ]

Nous n'avions ouvert que depuis une heure, et nous étions déjà débordés. Je n'avais pas encore quitté la cuisine depuis l'ouverture, vu le nombre de clients à nourrir ce soir.
J'étais extrêmement satisfaite : mon restaurant, Arabesque et Caramel, marchait très bien. Nous étions ouvert jusqu'à 23 heures en semaine, et jusqu'à 1heure du matin le samedi soir.
Bientôt il faudrait que j'embauche un serveur supplémentaire, car Irène avait du mal à suivre le rythme seule.
Et nous avions largement fait de bénéfices pour nous octroyer ce luxe.

La soirée d'inauguration, il y a seulement quatre mois, me semblait déjà bien lointaine. Je m'étais surpassée ce soir-là, et mon travail acharné avait porté ses fruits. Nous avions eu une excellente critique dans le journal local, et le bouche à oreille avait fait le reste pour attirer chaque soir plus d'une centaine de couverts.

Je levais la tête de mon tournedo rossini en entendant Irène entrer en cuisine, ce qui était anormal, vu que nous posions les assiettes sur le passe-plats donnant directement en salle.
- Nola ? Il y a un type qui s'est mis à jouer au piano. Je dois le virer ?
- Je m'en occupe, j'ai pas encore mis les pieds en salle ce soir.
- OK. N'empêche, il joue super bien, ce gars.

Je m'essuyai les mains sur un torchon, puis retirai mon tablier.
Lorsque je poussai les portes battantes, je stoppai net.
Cette mélodie.

Je dirigeais lentement mon regard vers l'estrade.
Alex.

Mon coeur cessa de battre, pour soudain repartir avec vélocité.
Il me faisait face, mais fixait le clavier.
Il avait changé et pourtant était toujours le même. Sa peau était hâlée, ses yeux brillaient et il était encore plus musclé.

Je fermai les yeux sur les derniers accords. Le silence régnait dans la pièce. Une main se posa doucement sur mon épaule.
Je défaillis. Pourquoi était-il encore plus attirant ?
- Sortons, murmurai-je.

Je l'entraînai dehors, sous les murmures et coups d'oeil des clients.
Une fois sur le porche, il posa ses mains sur ma taille et m'attira contre lui. J'enfouis comme à mon habitude ma tête dans son cou et inspirai à fond son odeur d'homme, qui m'avait tant manqué.
Il recula légérement, et pencha doucement la tête pour m'embrasser.

Je quittai ses bras et reculai doucement.
- Désolé. J'ai cru que rien n'avait changé, s'excusa-t-il, triste.
Je posai ma main sur torse.
- Rien n'a changé, Alex. Tu es, et tu resteras à jamais l'homme de ma vie. Je t'aime encore plus qu'au début, et la vie sans toi est bien fade.

Il haussa un sourcil interrogateur.
Une boule se forma dans ma gorge, et je sentis plusieurs larmes couler le long de ma joue.
Il les essuya du revers de sa main, et chuchota :
- Que se passe-t-il, Nola ? Je comprends rien à tes paroles codées.

Pourquoi, POURQUOI donc avais-je donc tout gâché ?
Pourquoi m'étais-je laissée persuader par ma mère ?
Pourquoi avais-je accepté l'impossible ?
J'aurais dû savoir qu'il reviendrait. Et je l'aurais attendu jusqu'à mon dernier souffle.
Le destin m'avait bien punie.

- Alex ...
Ma voix se brisa. Je n'avais qu'une envie, disparaître.
Mais avant, il devait savoir.
Il me haïrait. Il ne voudrait plus de moi.
Mais avais-je encore le choix ?
- Alex ... Je me marie dans une semaine.
Surprise. Tristesse. Jalousie. Colère. Tristesse, encore et encore.
- J'ai cru que jamais tu ne reviendrais. J'avais fait mon deuil de notre histoire depuis longtemps, quand ... Matt est revenu.
Je n'ai pas eu la force de le repousser, et je savais qu'en le faisant, je le détruirai à jamais.

Je plantai mes yeux, noyés de larmes, dans les siens.
- Ne l'oublie jamais, Alex. Je t'aime comme plus jamais je n'aimerais.
Je meurs d'envie de partir avec toi, de quitter ma vie où je passe mon temps à mentir, à me mentir. Mais je ne peux plus.
Je ne veux pas détruire Matt.

Le moment était venu.
Mon monde gris devint noir d'encre. C'en était fini de mon bonheur.
- Je ne t'oublierai jamais, Alex. Sois heureux, et trouve toi une fille digne de toi. Je t'aime. Adieu.

Je posai doucement ma main sur sa joue, et il ferma les yeux.
J'essuyai mes yeux et mes joues, noires de mascara coulé.
Nous restâmes quelques secondes ainsi, puis je retirai doucement ma main.
Je le regardai une dernière fois, puis partai.
Vers une vie qui n'avait désormais plus aucun attrait.

J'envoyai un poing chargé de colère et de douleur contre le mur.
Et puis un autre.
Et un autre.
Le sang coulait de mes phalanges blessées mais je m'en foutais.
Je m'en foutais.
Ma vie ne valait plus la peine d'être vécue.
Elle était brisée.
Et c'était elle qui m'avait tué.
Encore un coup.
Un autre.
Le mur n'était plus blanc.
Il avait la couleur de ma souffrance.
Rouge.
Comme le dernier coucher de soleil que j'avais vu avec elle.
Tristesse.
Douleur.
Un dernier pour la route.
Histoire de trouver une raison à cette douleur.
Histoire de trouver une raison à cette couleur.

- Arrête mec, souffla une voix derrière moi.

J'appuyais la tête contre la paroi et je repris mon souffle.
Avais-je courus un marathon ?
J'en avais l'impression en tout cas.
Je me retournai et me laissai glisser lentement sur le sol.
Je jetai un coup d'œil sur le lit face à moi.
Les bras sur les jambes et la tête dans ses mains croisées, Lucas ne me regardai pas, il avait les yeux baissés sur la moquette.
Je le comprenais.
J'étais un spectacle pitoyable, impossible à voir pour mon meilleur ami.

- Arrête mec, répéta-t-il plus fort.


J'avais commencer à chanter ce tube de Bonnie Tyler, quand d'un coup il me fallut exprimer mon malheur.

- J'étais revenu rien pour elle...
- Je sais.
- Elle me largue comme une vielle chaussette...
- Je sais.
- Dire que je ne suis plus rien pour elle.
- Je sais.
- Elle avait fait le deuil de notre histoire !
- Je sais.
- Mais elle dit encore m'aimer...
- Je sais.
- Et la semaine prochaine elle se marie avec Matt.
- Je s..., commença Lucas, mais pourquoi elle se marie avec cet imbécile si elle t'aime ?
- Parce qu'elle pensait que je ne reviendrais pas...
- Mais tu es revenu !
- Oui, mais je ne pèse plus rien dans la balance.
- T'as qu'à arrêter ce mariage !
- Et comment ? demandai-je plein d'espoir soudain.
- A la Aragorn. Comme dans le Seigneur des anneaux. Quand il vient réclamer son trône.

Je réfléchis à la proposition, séduisante, de mon ami, et j'acceptai.

- Mais dans ce cas j'ai besoin de toi.
- Comme toujours ! dit-il ravi de pouvoir m'aider.

- Alors, voila ce qu'on va faire...