09. Première rencontre.

- Tu es sûre que tu ne le regretteras pas ?
- Tais-toi et avance !
Je me retournai et lui demandai, le plus sérieusement du monde :
- Dis-moi maintenant si tu ne veux pas partir. Je comprendrais et je ne t'en voudrais pas. Promis.
Nola me regarda intensément. Tellement que je dus baisser les yeux pour ne pas me noyer.
- Je veux y aller, m'assura-t-elle d'une voix forte et sereine. Je veux découvrir cette nouvelle part de toi. Et puis si cela ne me plaît vraiment pas, je...
- Nous.
- Nous pourrons toujours revenir à la fin de ce mois, quand tu auras finit cette mission.
- Merci.
- Ce n'est rien.
- Si. C'est énorme.
Je jetai un coup d'œil à ma montre : 15h48.
- Merde ! Faut qu'on se grouille si on veut pas rater l'avion ! On décolle dans deux minutes !
Ma petite amie secoua la tête d'un air excédé et sourit en prenant ma main, me suivant dans l'aéroport. Me suivant en Afrique. Me suivant à l'autre bout du monde. Me suivant au bout de mes rêves.

Après un vol sans aucun intérêt sinon par nos baisers, nous atterrîmes en terre africaine.
Il faisait chaud.
Comme d'hab.
Le soleil brillait.
Comme d'hab.
La savane s'étendait aux alentours de l'aéroport.
Comme d'hab.
Esam et son coucou m'attendait.
Comme d'hab.
Et j'étais heureux de voir que certaines choses n'avaient pas changer.
- Et maintenant, monsieur l'aventurier ?
- Et maintenant, faudra bien s'accrocher pour pas vomir ses tripes, ça va secouer !
- Secouer comment ? s'inquiéta ma compagne.
- Comme les milk'shake ! lançai-je avec un sourire carnassier.

Les présentations furent amicales malgré la peur de Nola pour ce qui suivrait. Et Esam n'apaisa pas ses craintes.
- J'espère que l'homme blanc a choisit une avec le coeur bien accroché, faudrait pas qu'elle salisse les beaux sièges.
- T'inquiète l'indigène, elle est forte la petiote !
Nola m'envoya un superbe crochet du gauche et monta dignement dans le coucou. Esam se moqua de moi et je souris devant le caractère tellement prévisible de elle.

La vue des airs était à couper le souffle.
- Alors ? criai-je. T'en pense quoi de ta rivale ?
- J'abdique ! Je ne vaux pas le poids ! me répondit-elle sur le même ton pour couvrir le bruit du moteur.
- T'as raison. T'es milles fois mieux !
- Ah mon avis mademoiselle, pour qu'il dise ça, il doit vraiment tenir à vous, intervint Esam.
- Ça je le sais...

Le vieux coucou survola la savane pendant une bonne demi-heure. Alex me montrait des petits villages, récitant leurs noms et m'indiquant ceux où nous nous rendrions.
Il souriait et semblait être l'homme le plus heureux du monde.
Quand à moi ... chacun de ses sourires m'emplissait de joie, et j'étais emerveillée devant ces paysages que l'homme n'avait pas encore détruit.

L'avion se posa en soulevant un nuage de poussière à une centaine de mètres d'Okakarara, une ville.
Alex sortit avant moi et me tendit la main en parfait gentleman.
- Tu vois, j'ai l'estomac solide.
- Mmmh ... pas sûr ...
Je levais les yeux au ciel, et pris mon sac que me tendais Esam.
Pour une fois, j'avais pris le strict minimum, comme me l'avait conseillé Alex. Nous n'avions pas la place de nous encombrer de choses inutiles.

Esam prit Alex dans ses bras, puis moi à mon tour.
- Bienvenue chez moi, mademoiselle. Tu verras, Alex est un type formidable.
- Ca, je le sais déjà.

Il remonta dans son avion, se retournant plusieurs fois pour nous sourire. Quand il eut disparu de l'horizon, Alex inspira une grande bouffée d'air sec.
Il prit ma main, et nous marchâmes silencieusement vers la ville.
Enfin, pas tout à fait vers la ville.
Il me désigna un campement d'une dizaine de tentes vertes.
Des hommes s'y affairaient, sûrement en train de préparer le repas, car la journée allait bientôt s'achever.
Quand nous fûmes à trois mètres, Alex me lança un grand sourire.
- Le palace vous plaît, princesse ?
- Je sens que je vais m'y plaire !
- Jusque là, c'est presque parfait. Maintenant, ça l'est, vu que tu m'as rejoint.
- Et je pense que je ne le regretterais pas.

Entendant notre conversation, un homme leva la tête.
- Mais c'est ce bon vieux Alex ! cria-t-il pour prévenir les autres.
- Salut, Marc !
Il y avait en tout six femmes et sept hommes, français, médecins, infirmiers ou enseignants.
Les présentations furent vite faites. Marc, Paul, Vanessa, Igor, Emilie, Bruno, Xavier, Manon, Rose, Mathilde, Steve, Cyrille et Laure.
Tous me regardèrent, intrigués.
Ils devaient probablement me prendre pour une petite citadine pitoyable. Je relevai le menton et soutenai leur regard, souriante.

Le repas, riz et jambon, fût servi quelques minutes plus tard. Nous nous assîmes en cercle autour d'un petit feu, mangeant dans des assiettes en plastique.
Nous veillâmes encore une heure après le repas, et j'écoutais attentivement les collègues d'Alex raconter leur dernière mission et la misère de la ville.
Les autres gagnèrent un à un leurs tentes, qu'ils partageait à deux.
Il y avait deux couples. Trois en comptant Alex et moi.
Je posai ma tête sur les jambes de mon compagnon et observai le ciel sans nuages où les étoiles brillaient doucement.
- C'est magnifique, soufflai-je.
- Demain, on se lève tôt. On ferait mieux d'aller se coucher.
- Où est le Alex ? Celui qui méprise la raison et profite du moment présent ?
- Perdu en chemin.
Il me releva et m'entraîna vers une tente. J'y pénétrais, et ouvrais mon sac de couchage que j'avais posé en arrivant. Alex fit de même, et nous nous allongeâmes ensuite.
Il me prit dans ses bras, et je plaçai ma tête sur son torse, écoutant avec délices les battements réguliers et paisibles de son coeur.
Nous étions en Afrique.
Et tout était parfait.

Un rayon de soleil arrogant parvint à passer à traverser la toile de tente et se posa sur mon visage, me tirant du soleil avec maintes difficultés. Je bougeai lentement, attentif à ne pas réveiller Nola qui dormait, blottie contre moi dans son sac de couchage rouge, accessoire obligatoire en Afrique car les nuits étaient plutôt fraîches.
Je sortis en la regardant une dernière fois, elle avait la bouche ouverte dans son sommeil profond. Après le voyage et le changement que sa venue ici aller créer dans sa vie, elle avait bien le droit à un peu de repos.

- 'Lut Alex ! Bien dormit ? me demanda un homme blond et plutôt grand quand je sortis de la tente.
- Oui, super. A croire que ça me manquait de dormir par terre, dis-je en m'étirant, le dos endolori après la dure nuit. T'as pas du thé Marc ?

Mon ami sourit et me tendit un gobelet, déjà préparé à mon attention. Je le remerciai du regard et je regardai le camp.

Une vingtaine de tente étaient rassemblées autour d'un puit. Elles protégeaient la nourriture -la notre et celle qu'on distribuait- les médicaments et les traitements, les outils, le matériel médical, les lits des patients...

On agissait par deux équipes : une restait ici et distribuait les soins et les provisions à ceux qui en avaient besoin, et une autre -dont je faisais partit- allait sur le terrain, dans des villages reculés et aidait les habitants, les aidant aussi à devenir autonomes, en creusant des puits, en installant des panneaux solaires ou en construisant des écoles par exemple.

- Alors c'est quoi le programme ? me renseignai-je auprès du chef de mission, Cyrille.
- Toujours le même village, celui de ton ami Esam. On va aller la-bas et essayer de leur faire installer un frigo, d'ailleurs je compte sur toi pour parlementer, c'est toi le beau parleur après tout.
- Pas de problème. Esam m'a parlé de leurs coutumes, je devrais m'en sortir. Et pour Nola t'as un truc ?
- Elle peut aider Manon si elle veut où préparer les repas et les distribuer avec Laure.
- Ok j'vais lui en parler. Merci de l'accepter et de lui faire confiance au fait.
- On a toujours besoin de deux bras compétents en plus.
- Comment tu sais qu'ils sont compétents ses bras ?
- J'te connais. Tu l'aimerais pas si c'était une feignasse qui a peur de se salir les mains.
Je lui souris et j'allais réveiller ma marmotte.



Le soleil était à son zénith et je vis du coin de l'oeil Nola distribuer un bol de riz-salade de poulet à un jeune garçon. Elle lui adressa un sourire radieux et je me rassénerai à son sujet, me concentrant sur ma mission. J'étais assis à l'ombre près de la tente du chef du village et j'essayais de lui faire comprendre l'intérêt d'un frigidaire depuis ce matin. Cela permetterait de garder les médicaments au frais et en état de consomation en cas de problème.

- Vous avez des personnes contaminées par le sida danc votre village. Des médicaments leurs faciliteraient la vie et soulageraient leurs douleurs. Avec le frigo vous pourraient les aider. Qu'est ce que cela vous coûte de l'installer ?

Esam traduit mes paroles dans la langue du chef de village et écouta ses réactions.

- Il dit que c'est moche et horrible. Ca casse les paysages les pilones électriques pour le faire courrir ce frigo.
- Je suis d'acord avec lui. C'est pour ça qu'on pensait mettre des panneaux solaires pour qu'il soit autonome. On pourra mettre des auvents ou l'entourer d'arbres pour qu'il ne soit pas visible et pour qu'il préserve la beauté du village si il le souhaite.

Traduction.

- Il est accepté. Mais juste si nos hommes participent à l'installer. Le village prend part de l'aide aux malades.
- Nous avons un marché, dis-je et lui tendant la main pour sceller le pacte, selon nos coutumes.

Il la prit puis me serra dans ses bras, selons ses coutumes à lui.



Ce ne fut que tard le soir que nous finîmes l'installation du frigo et son approvisionement en médicament. Nous partageâmes alors un super repas autour du feu, préparé par Nola, Laure -la compagne de Cyrille et notre cuistot- et les femmes du village.

Pouvant enfin être ensembles, je pris ma bien-aimé dans mes bras et je lui soufflai dans l'oreille.
- Je t'aime.
Elle sourit et me répondit sur le même ton en observant les étoiles.
- Moi aussi. Et j'aime être ici.
- Je suis l'homme le plus heureux de la terre alors, affirmai-je en m'allongeant sur le sol, ma Nola contre les flancs.

La journée s'était magnifiquement bien passée. J'avais, pendant une grande partie de l'après-midi fait la cuisine, et avait d'ailleurs retrouvé les casseroles avec joie.
Les femmes du village nous avaient montré les recettes des plats locaux, et en échange, je leur en avais donné d'autres.

Après avoir cuisiné, j'avais cherché Alex du regard. Il était en pourparlers avec le chef du village.
Ce petit village, celui d'Esam, abritait une école, ouverte quatre jours par semaine par Manon, une enseignante française qui avait appris la langue.

Je me dirigeais vers un banc, et m'asseyai. Je ne restais pas seule très longtemps.
Quelques enfants vinrent me rejoindre, curieux. Ils ne me connaissaient pas, après tout.
Ils se nommaient Maliha, Shade, Pili, Oko, Nyamu et Zuhri.
Ils devaient avoir tous entre quatre et huit ans.

Ils m'entraînèrent à l'ombre d'une petite case, et m'intégrèrent à leurs jeux. Je restais avec eux quasiment toute l'après-midi.

Ils étaient souriants, accueillants, curieux et riaient dès que je ne saisissais pas ce qu'ils voulaient dire.
Tout le contraire des enfants français, qui à force d'être gâtés, oublient leur chance.

J'étais maintenant assise contre un arbre, Maliha accrochée à moi. Les autres étaient rentrés pour aider leurs parents.
Elle posa son bras noir à côté du mien, blanc. Je ne bronzais vraiment pas, et je savais que je pourrais rester une dizaine d'années dans ces contrées ensoleillées sans prendre de couleurs.
Par gestes, j'essayai de demander à Maliha où étaient ses parents.

Elle me répondit d'un français maladroit -car ils l'apprenaient à l'école-
- Sida. Morts.

Ne pouvant rien répondre à sa peine, je la pris dans mes bras et elle passa les siens autour de mon cou.
Elle devait avoir environ cinq ans.
Nous restâmes ainsi quelques minutes, jusqu'à ce Laure arrive.
- Tout va bien ? me demanda-t-elle.
- Super ! Besoin d'aide ?
- On vient de finir. Tu sais, tu pourrais t'occuper des enfants, tenir l'école pendant les trois jours où on sera là. Manon y passe presque toutes ses journées. Tu pourrais l'aider si tu veux.
- Je ne suis pas enseignante.
- Tu n'as pas besoin de l'être. Essaie de leur apprendre un peu de français, ça leur sera très utile pour plus tard.
- Tu crois ?
- Mais oui ! Allez, vas-y !

Vingt minutes plus tard, j'étais dans une petite maison, assise en face d'une quinzaine d'enfants qui me regardaient.
Pas un bavardage. Rien. Ils étaient tous prêts à travailler, et motivés.

J'essayai alors de leur apprendre des mots, des expressions.

Après deux heures de travail, je les libérais. J'étais vraiment impressionnée. Ils étaient restés assis deux heures sans broncher, m'écoutant avec attention et lançant des regards outrés à quiconque n'écoutait pas ou bavardait.

Après le repas, je me retrouvais contre Alex. Maliha vint nous rejoindre, et se mit entre nous.
Je lui caressai les cheveux.
- Laure m'a dit que tu as leur fait classe.
- Oui. C'était super !
- Bilan de la journée ?
- Je suis aussi tombée amoureuse. Comment as-tu pu abandonner ce paradis pour moi ?
- Je te l'ai déjà dit.
- C'est vrai.
Nous nous tûmes et je fixai les étoiles.
- J'aimerais bien avoir un jour un enfant avec toi, soufflai-je.

Pas de réaction. Peut-être ne m'avait-il pas entendue, après tout.
Je fermai les yeux, et sentis la main d'Alex passer sous ma taille.
J'avais atteint le sommet le plus haut de la perfection.
Et j'inspirai l'air du bonheur.

J'étais assis à l'écart du camp, les pieds dans le sable et la tête dans les étoiles. Tous mes amis dormaient, à l'abri, sous leur tente, mais je ne parvenais pas à trouver le sommeil. Cela faisait presque une semaine que Nola était venu en Afrique et tout ce passait à merveille : elle s'entendait bien avec les enfants locaux et était comme leur grande sœur. Ou pour certain comme leur mère.
Elle était heureuse.
Et moi aussi.
Infiniment heureux.
Pourtant une des ses phrases me tracassait encore et toujours : "J'aimerais bien avoir un jour un enfant avec toi." Je devrais être l'homme le plus comblé du monde après avoir entendu ses mots si rares mais j'avais du mal à m'imaginer, humanitaire en Namibie, avec un gosse sur les bras et sur la conscience.
On devrait le nourrir, le réconforter, lui enseigner les matières "officielles" et puis tout le reste, tout ce qu'on appelle la vie. S'occuper de lui -ou d'elle d'ailleurs- tous les jours, le protéger du soleil et des scorpions. Notre enfant devrait se faire des amis sans avoir la certitudes de les garder avec lui longtemps, apprendre à vivre à la dure, sans avoir le confort d'un foyer stable. Ça c'était la version africaine.
Parce que je n'osais pas imaginer la version française. C'était désormais -et plus que jamais- hors de question que je revienne habiter en France.
J'aurais eu envie d'avouer à Nola que moi aussi, du fond du cœur, je voulais qu'elle devienne la mère de mon enfant. Mais j'avais trop peur des conséquences. Je voulais que ma progéniture soit heureuse et ait une enfant normale et calme. C'était hélas impossible.
Et pourquoi pas ? Demanda une petite voix dans ma tête. Après tout t'as qu'à essayer, on verra bien après. C'est tout moi ça. Agir et regarder les dégâts après. Mais j'avais tout le temps fait comme ça, pourquoi changer aujourd'hui ? Parce que la vie d'un être humain pourrait être en danger ? En quittant la maison, la vie -et l'avis- de ma famille n'avait pas peser bien lourd dans la balance. Parce que c'était pour en sauver un millier d'autres ! Et là ? C'était pour sauver qui ? La réponse vient à moi, comme une évidence, me reprochant même d'avoir imaginé cette question.
Nola.

J'entrai dans la tente à pas de velours et je posais une main sur sa bouche pour qu'elle ne réveille pas tout le camp. Elle se réveilla en sursaut et écarquilla les yeux avant de me reconnaître et de se détendre. Je lui fit signe de ne pas faire un bruit et de me suivre dehors. Nous empruntâmes deux chameaux et nous nous mîmes en route. Elle me harcela de questions durant le trajet mais je refusais de lui répondre autrement qu'en rigolant.
- Dis-moi ! Tu m'emmène où !
- Tu me fais confiance ou pas ?
- Oui bien sûr !
- Alors ne t'inquiète pas, nous serons arriver d'ici une petite heure !
- Tu me réveille en plein milieu de la nuit pour faire une balade à dos de dromadaires !
- Ce sont des chameaux ma chère, nuance. Et puis regarde autour de toi. Rien que cela ne vaut-il pas une nuit de sommeil ?
Elle m'obéit et se tut. Nous étions au plein milieu du désert et les étoiles illuminaient notre chemin. La lune se reflétait sur les dunes de sable, le vent soufflait une brise léger et nous étions ensemble.
- C'est... beau.
- Rabat-joie ! rigolai-je. Et alors si ça c'est beau, ça là-bas c'est quoi ?
Un palmier s'incrusta dans le désert, bientôt suivit par ses frères, tous réunis autour d'un petit point d'eau, asséché en journée mais assez remplit durant la fraîcheur de la nuit. Une girafe, dérangée par notre présence, partie en courant, renonçant à se désaltérer. Un oasis au milieu du désert. Une île au milieu de la mer.
- Pas mal, approuva-t-elle, alors que je voyais la lueur d'émerveillement briller dans ses yeux. Mais ça ne me dit toujours pas ce que nous faisons là.
- Tu ne devines pas ? souris-je en descendant de mon mammouth.
Je lui donnai la main et l'aidai à en faire de même tout en l'enlaçant et en l'embrassant, avec la lune comme seul témoin.
- Je t'aime et je le veux aussi.
Elle comprit mon allusion et je l'emmenai au pays des merveilles.

Tout était nouveau. Sa voix rauque, son aividité et sa douceur, mon désir et notre insatiabilité.
Nous aurions pu rester ici pour l'éternité.
Nous aurions pu continuer à faire l'amour, il aurait pu continuer à me souffler des "je t'aime" inépuisables, à m'enserrer la taille, à enfouir ses mains dans mes cheveux ...
Mais les premiers rayons du soleil apparurent, et Alex s'assit, m'entraînant dans le mouvement.
- Les autres vont se demander où nous sommes.
C'était si aberrant de penser aux autres maintenant, alors que nous étions seuls dans l'immensité du désert.
Nous nous habillâmes rapidement.

Alors que nous nous levions, Alex jura.
- Merde ! Les chameaux se sont fait la malle !
J'éclatai de rire, et il me regarda, surpris. Il finit par joindre ses rires aux miens.
- Bon, alors on a quatre kilomètres à se farcir sous le soleil du désert. Et ça va pas être de la petite bière ...

Nous bûmes un maximum d'eau et remplîmes notre unique gourde. Puis il prit ma main et nous nous mîmes en route.


Quand le soleil du désert vous tape sur le dos vers les onze heures, quand vous avez l'estomac vide, quand vous n'avez pas dormi de la nuit et que vous êtes encore loin de votre point d'arrivée, vous avez plusieurs options.
Vous arrêtez, et attendre un miracle. Ou vous continuez.
Nous avions choisi la deuxième option. Pour le meilleur ... et le pire.

Alex vacilla et tomba contre mon flanc. Je le retins tant bien que mal, supportant son poids.
Ses yeux étaient clos et sa respiration sifflante.

Je fixai l'horizon. Les contours du village se dessinaient vaguement. Il nous restait au minimum deux kilomètres et demi. Et Alex n'était pas en état de marcher.
- Continue, souffla-t-il. Et envoie quelqu'un.

Option inenvisageable. Après ce que nous avions vécu, je ne pouvais pas. M'éloigner de lui était impossible, et je n'y survivrai pas.
- T'inquiète, on va bientôt arriver, le rassurai-je.
Je passai mon bras autour de sa taille. Il essaya bien de ne pas peser sur moi, mais n'avait plus assez de force pour avancer seul.

Je titubai sous son poids, mais j'avançai. Un pas après l'autre. Un effort après l'autre.
Mon corps criait grâce, ma gorge desséchée implorait de l'eau et mes jambes désiraient que je lâche Alex.
Mais je levais la tête, et je continuai.

Cela dura tout aussi bien quelques secondes que plusieurs heures.
Quand nous fûmes à cent mètres du campement, je chargeais Alex sur mes épaules et avançai. Il était plus lourd que moi.
Mais une force nouvelle coulait en moi.
Dans quelques minutes, nous pourrions nous reposer. Dans quelques secondes, cet enfer s'achèverait.


Je m'effondrai au milieu du campement.
Les autres se précipitèrent près de nous. Je sentis Laure palper mon front et crier aux autres :
- De l'eau !
- Occuppez-vous d'Alex, soufflai-je, à bout de souffle. Je vais bien.

M'ignorant, elle me fit boire à une gourde. L'eau coula en moi, et je me sentis renaître. Elle me tendit encore des gâteaux, que j'engloutissais.
Puis je me traînais à côté d'Alex.
Il était fiévreux, mais avait déjà meilleure mine. Il porta sa main à ma joue et mon corps fut parcouru d'une décharge électrique.
- Ca va ?
- Super, sourit-il.

Je me traînais sous notre tente, Alex me suivant.
Je m'allongeai à ses côtés, et il me serra contre lui.
- On va se faire engueuler, dit-il.
- Je m'en fous. Je veux juste rester avec toi pour l'éternité.
- Moi aussi, marmonna-t-il, déjà dans les bras de Morphée.

Je me regardais peu à peu s'enfoncer dans une autre dimension à laquelle je ne pouvais malheureusement pas le rejoindre.
Le sommeil ne voulait pas de moi.

Je contemplai son visage détendu, sa bouche entrouverte et son torse qui se soulevait au rythme des battements de son coeur.
Je posai doucement ma main sur ce dernier.
- Alex ... chuchotai-je. Il y a quelques heures, j'étais encore vierge. Maintenant, j'ai l'impression que tout est différent. J'ai découvert une nouvelle partie de toi. Et j'aimerais en connaître tant d'autres ... Mais j'ai tellement peur que tu t'évapores, que tu disparaisses ou que tu te lasses de moi et que tu t'en ailles. Quand je t'ai porté ... j'ai su que je pourrais parcourir bien plus pour toi. Que je ferais n'importe quoi.

Il dormait. Je pouvais dire n'importe quoi.
Je sentis les larmes monter à mes yeux. Parce que j'étais dans les bras de l'homme que j'aimais. Parce que demain, notre vie prendrait un autre tournant. Après ce que nous avions fait la nuit dernière, les choses entre nous allaient changer.
Et parce que l'inconnu m'effrayait.

- Hey mec. Yo, debout Skywalker.
- Aah... souflai-je d'une voix faible, non, pas Dark Vador.
- Debout crétin ! J't'en foutrais des Dark Vador moi !
- Mais... Maître Yoda !
- Laisse-le, le soleil lui a tapé sur la tête. Il a besoin de se reposer, murmura une troisième voix.
- Mais Laure !
- Chut Cyrille. Et puis comme ça, on a un peu de temps pour être ensemble. Ca fait longtemps. C'est leur jour de congé. Le notre aussi. Allez, profite !
- A tes risques et périls !
Un rire léger lui répondit et les pas s'éloignèrent. Je me replongeais entièrement dans le sommeil.

Ce ne fut que bien tard le soir que je me réveillais enfin, en pleine possession de mon corps et de mon esprit. Je sortis et tombai nez à nez avec Nola qui était sûrement venue me chercher.
- Alex, commença-t-elle d'une voix réjouie, tu...
Je plaquais ma main sur sa bouche et je l'emmenai à l'intérieur de la tente. Son corps m'appelait. Une sorte de magnétisme. Incontrôlable. J'entrepris de lui enlever sa robe blanche.
- Mon amour...

Je caressais du bout des doigts sa joue douce, la réveillant tendrement. Elle me sourit et je m'excusais pour la veille. D'habitude je tenais mieux le soleil. Je m'avait sûrement pas bu assez d'eau avant de partir. Je ne referais pas une deuxième fois la même erreur.
- C'est pas grave. Ça me rassure au moins sur ton côté humain... et vulnérable !
- Ouais ben j'aimerais être un peu moins fragile. C'est moi qui suis sensé te soutenir et te protéger. Merci beaucoup pour ce que tu as fais.
- Tu aurais fait la même chose pour moi alors nous sommes quittes.
- Nan ! Tu t'en sortiras pas comme ça ma belle. Un point pour toi mais je compte repasser devant très bientôt !
Elle voulut risposter mais Cyrille, tenant par la main Laure, fit irruption dans la tente, nous demandant de sortir pour aller au village. Nous aquisâmes et juste avant que mon ami sorte de la tente, je lui dis :
- Désolé pour hier.
- C'est rien.
- Si, j'sais pas ce que j'ai foutu...
- Insolation.
- Ouais sûrement mais je suis navré.
- C'est rien j'te dis. Pas contre tu va morfler pour le Dark Vador et le maître Yoda. J'suis ni petit, ni vert, ni tout ridé !
Je ne compris pas un mot à ce qu'il racontait mais au regard que me lançant Laure, je compris que j'avais radoter durant mon sommeil. Quelle connerie j'avais encore pu lui sortir ? Je soupirai et j'embrassai Nola.
- Viens ma choups, on a du pain sur la planche.
- Comment tu m'as appellé ?
Je ne répondis pas et je sortis en courant, poursuivi par une Nola en colère, bien décidé à me faire passer un sale quart d'heure.
- T'es toujours à me courrir après, franchement ! lui lançais-je derrière mon épaule.
Elle ne me rattrapa pas -j'étais le champion de la course- et je sautai dans le coucou d'Esam, lui ordonnant de décoller, elle irait avec les autres en jeep. J'étais déguelasse, je le savais, et j'en riais.
- J't'aime mon amour ! criai-je avant qu'elle ne puisse pas m'entendre.

Je la vis arriver, sa colère bien affichée, et elle se précipita vers moi. Je la retins d'un geste.
- Il y a eu deux morts et cinq malades ici, hier. La grippe aviaire. Il leur faut des soins rapidement.
En quelques ordres rapidement donnés, on s'occupa des victimes et prit les précautions nécessaires pour ne pas agraver les dégats.
Mais ce fut une bien triste journée au village de nos protégés.