12. Après-coup

Encore ces murs blancs et ternes. Moi qui croyait ne jamais les revoir, c'était raté.
Je posai mon sac à terre et allai ouvrir les fenêtres.
Dans un placard de la cuisine - encore plein -, je trouvai une boîte de biscuits qui n'étaient pas encore périmés.

Je m'installai sur le divan à côté d'Alex et lui tendit le paquet.
- C'est tout, madame la cusinière ?
- Pardonnez-moi, monsieur, dis-je, accentuant le dernier mot.
Il ébouriffa mes cheveux et passant son bras autour de mes épaules.
Il regardait la pièce calmement. Apparemment, il mourrait d'envie de repartir, mais comme toujours, se pliait à ma volonté.
- Comment va Audrey ? demanda-t-il.
- Ca va.
Silence. Ca en devenait pesant.
- Quand est-ce qu'on rentre ?
- Tu es chez toi, ici, remarqua-t-il.
- Techniquement, oui. J'ai dit au concierge que je lui rendai les clés à la fin de la semaine.
Je m'allongeai et posai ma tête sur ses genoux. Pour peu, j'aurais pu être bien.
Mais cette sensation qui me poursuivait depuis mon retour en France revint. Je me sentais mal.
En marge de ma vie, je n'arrivai plus à appréhender les choses comme avant.
- Ca va ?
- Tu es en train de dévolopper un toc, mon pote. C'est la dixième fois que tu me demandes ça depuis que je suis rentrée.
- Tu n'as pas répondu.
Je voulus lui assurer que oui, je me sentais bien, mais mes mots restèrent coincés dans ma gorge, et je me tus.
- Que se passe-t-il, Nola ? Je ... je ne te reconnais plus.
- Je ne sais pas. Je me sens ... tellement bizarre ...
- Tu devrais peut être aller voir un toubib, suggéra-t-il.
- Laisse tomber, ce n'est pas physique. Mais ne t'inquiète pas, je ne suis pas folle. Ni une psychopathe meurtrière.
- Je ne l'ai jamais pensé.

Il alluma la télé, et regarda un film d'action. Je m'endormis là, posée contre ses jambes, sa main effleurant de temps en temps mon bras.

Quand je me réveillai, j'étais allongée sur mon lit, et je sentai le corps chaud d'Alex près de moi.
Voyant que j'étais réveillée, il m'attira contre lui.
- Il est quelle heure ? murmurai-je.
- Six heures du matin.
- Tu n'as pas dormi ?
- Si.

J'aurais voulu crier, exploser, me gifler, me je restais là, plantée dans ses bras. Qu'est-ce qui se passait, bon sang ?
Mais cette fois-ci, c'était moi qui clochait, et je n'arrivais pas à comprendre quoi. C'était plutôt frustrant, et surtout effrayant.

Il posa doucement ses lèvres sur les miennes, et ses mains se faufilèrent dans mon dos. Il entreprit de m'enlever ma chemise, mais avant que je réfléchisse, mes bras le repoussèrent violemment.
Inévitablement, je me mis à pleurer.
Il voulut me prendre dans ses bras, je me levais avant qu'il ne saisisse mon bras et et allai m'enfermer dans la salle de bains.

Je vomis une bile amère dans la cuvette des toilettes - je n'avais pas mangé depuis hier matin-.
Alex tambourinait la porte, m'ordonnant de lui ouvrir.
- Attends, marmonnai-je faiblement. Je suis pas en état, là.
- Raison de plus ! Ouvre !
Je m'appuyai contre le lavabo, et regardai mon reflet.
Une vraie paumée. Aux yeux vides et au teint blafard et cireux.
- Nola ! Tu n'as quand même pas cru cet abruti ?
- A quel sujet ?
- Que ... que je voulais juste te ... te sauter ?
- Bien sûr que non ! Ecoute, le problème vient de moi. Je ... je sais pas ce qui m'arrive. Je suis désolée.
- Ouvre-moi, dit-il calmement. Tu devrais manger quelque chose.
Cinq minutes plus tard, je finis par lui ouvrir. Il poussa la porte et me regarda, inquiet.
- Ca ne va pas, constata-t-il.
Je fondis en larmes, mais il reste à distance, se bornant à poser sa main sur mon épaule.
Après tout, ça devait mettre en rogne de se faire rejeter, mais il encaissait plutôt bien.
- Ne t'inquiète pas, mon amour. On va trouver ce qui va pas. Et après, on rentrera chez nous, en Afrique. Je t'aime.

Mais que se passait-il, bordel ?
Je n'arrêtai pas de pleurer, je ne supportai plus qu'Alex me touche, je ne mangeai plus, je ne me reconnaissai plus, et j'avais failli tuer un homme.
Perdue.
Perdue quelque part entre folie et incompréhension.
Et, comble de la honte, je ne trouvai pas moyen de me dépêtrer de ce noeud de complications.

Je mis un croissant de plus sur le plateau, entre un petit pain au chocolat, un verre de jus d'orange et un chocolat chaud. J'apportais son petit déjeuner sur le lit de Nola qui dormait encore.

Je m'assis au bord du matelas sans la réveiller et je l'observai dans son sommeil.

Nous étions dans son appartement depuis quelques jours et je voyais qu'elle n'allait pas bien. Elle ne mangeait rien. Elle ne sortait plus. Elle ne riait plus. Elle ne voulait plus que je la touche. Et refusait toujours et encore que je l'emmène chez un médecin.

Mais en voyant sa peau livide, ses yeux cernés de bleu, ses poignets sans force, sans vie, je me décidais à appeler quelqu'un.
Je ne pouvais pas la laisser comme ça.

Comme si elle suivait le fil de mes pensées, elle émergea doucement des brides du sommeil.
- Salut... murmura-t-elle d'une voix rauque.
- Bonjour mon amour. J't'ai préparé un p'tit dèj' de roi, rien que pour toi !
- Merci... Mais j'ai pas faim.
- Mange, ça te feras du bien.
- J'ai pas envie, sincèrement. C'est gentil quand même.
- Alors bois juste un peu. Pour me faire plaisir.
Elle prit la tasse de chocolat chaud, mais je voyais bien qu'elle se forçait. La gorgée à peine avalée, elle rendit tout dans la bassine qui ne la quittait plus, à son chevet.
- Laisse-moi, chuchota-t-elle.

Je quittai la pièce sans faire d'histoire, et je sortis pour aller dans un bar au bas de la ville. Je m'étais engagé comme serveur, histoire d'avoir un salaire le temps que Nono serait clouée au lit. J'avais aussi prolongé le loyer, au grand bonheur du propriétaire.
Je me mis au travail tout en cherchant comment aider mon âme-sœur.



Plus tard, vers six heures du soir, alors que j'étais au volant d'une voiture de location :
- Bonjour, je suis bien au cabinet du médecin Hisack ?
- Oui que puis-je pour vous ?
- C'est pour une urgence. A domicile. Une fille malade qui ne mange plus et ne bouge plus depuis quatre jours.
- Donnez-nous l'adresse et le médecin viendra dans la demi-heure qui suit.
J'obéis et la secrétaire me dit :
- Le docteur quitte le patient avec qui il est maintenant et il arrive.
- Très bien. Merci.
- Nous sommes là pour ça, monsieur.



Encore plus tard, alors que j'étais rentré depuis longtemps et que ma copine dormait -pour ne pas changer- , la sonnette sonna.
Je fis entrer le médecin, il s'excusa de son retard, et je l'emmenai dans la chambre.

Nola venait de se réveiller mais elle refusa catégoriquement de se faire examiner.

Toutes fois, à force de bonnes paroles et d'arguments imparables, Dr. Hisack parvint à la faire changer d'avis.
- Avez vous été dans un pays étranger au courant du mois ?
- Oui, lâcha-t-elle à contrecœur.
- Lequel ?
- Namibie.
- Vous vous êtes fait vacciné ?
- Moi oui, elle non, répondis-je doucement, comprenant ma stupidité et mon oubli.
Il me regarda et me dit :
- Alors je n'ai pas de doute. Hépatite B, diagnostiqua-t-il.



Le docteur et moi étions dans le salon, assis dans le canapé, alors que Nola s'était rendormie.
- Que puis-je faire pour elle ?
- Il faut qu'elle mange. Sinon son estomac se réduira à la taille d'une noix et se sera l'anorexie. Elle doit prendre des antibiotiques. Je vais lui procurer un vaccin. Je crois qu'ils n'en ont plus en stock à l'hôpital. Le temps de livraison sera d'une semaine ou deux. Jusque là, appelez moi si il y a un problème et gardez-la au chaud et bien nourrie.