03 b) La vie continue ...

Voilà 180 jours et quelques secondes que j'étais au lycée privé de Pompidou, en Vendée.
Allongée sur le lit de mon dortoir, les bras croisés derrière ma tête, je regardais la pluie battante à travers la vitre.
J'entendais le rythme régulier de la respiration de Sofia.
Très sympa, cette fille. Elle était une amie, en quelque sorte.

Les autres ...
Je ne comprenais pas l'entrain des garçons à me tenir compagnie, à me faire la conversation, à m'inviter au cinéma ...
Invitations que j'avais toutes déclinées, d'ailleurs. Car à chaque fois que je me trouvais face à un garçon, je revoyais Alex.

J'avais pensé réussir à l'oublier, mais il avait occupé mes pensées chaque jour depuis notre séparation.
J'aurais tellement désiré qu'il prenne contact avec moi, ce qu'il n'avait toujours pas fait.

J'aimais à croire qu'il ne voulait pas faire encore plus de dégâts dans mon petit coeur, comme aurait dit ma mère.
A vrai dire, je me fichais de la douleur. Je voulais seulement le revoir, m'accrocher à lui, et ne plus le quitter.
Mais force était d'admettre qu'il avait tourné la page, et qu'il m'avait oubliée.
Ma gorge se serra, et je retenais mes sanglots, pour ne pas réveiller Sofia.

Il était vraiment tant que je tourne la page, à Son instar.
Je me levais et me dirigeais le plus silencieusement vers la porte.
Mais Sofia avait vraiment le sommeil fragile, et l'oreille fine :
- Tu vas où ? dit-elle d'une voix pâteuse, ensommeillée.
- Hanter les couloirs.
- On a un bac blanc, demain. Tu ferais mieux de te reposer.
- Merci du conseil. Mais je suis assez grande pour diriger ma vie. Rendors-toi.

Elle s'assit sur son lit, et je me retournai vers la porte, prête à la franchir.
- Tu ne peux vraiment pas l'oublier, hein ?
Je me figeais sur place. Sofia était vraiment trop observatrice.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Alex.
- Comment tu connais son nom ?
- Tu soupires souvent son nom quand tu dors. Et la photo dans ton pendentif.
Tu sais, les garçons sont tous les mêmes. S'il ne t'a pas contactée depuis que tu es ici, c'est qu'il t'a oubliée.

Je lui adressai un pauvre sourire, puis sortais.
Les paroles de Sofia était vraiment dures, mais il était nécessaire que je les entende.
Je me réfugiais dans une cabine des toilettes.
J'entamais alors mon deuil, pour la dernière fois de ma vie.

Je l'oublierais. Il n'aurait plus aucune emprise sur moi, et je vivrais désormais ma vie.

Lorsque je détachai le pendentif de mon cou, je me ravisai.
Même si je passai à autre chose, je devais me souvenir du prix à payer pour accéder au bonheur.

Le temps filait entre mes doigts, glissait sur ma peau sans m'atteindre.
J'étais souvent déconnectée du monde. Je ne sombrai pas dans cette demi-conscience pour fuir mon malheur -que j'arrivais désormais à gérer-, mais pour me souvenir d'Alex.

Et mon vrai problème était que je ne me souvenais plus de son visage. J'aurais pu aisément m'en souvenir en regardant la photo de mon pendentif, mais j'avais trop peur de me remettre à pleurer.

Mon portable, récemment acheté, émis un avertissement sonore. Je regardais le petit écran :
" Je t'attends dans le parc, Matt."
Je soupirais. Encore un à éconduire.
Mais Matt était vraiment sympa, il me faisait rire, et je ne désirais pas vraiment le perdre. J'allai donc le retrouver dans le petit parc derrière l'internat.

Je m'approchai de lui, et m'assit à côté de lui sur l'herbe.
- Comment va ? me demanda-t-il.
- Bien. T'as des problèmes en maths ? dis-je d'une voix amusée.
- Non. Euh ... en fait, je voulais te dire autre chose. Bon, tu risques de trouver ça stupide, de partir, mais bon je veux te le dire, c'est important pour moi, parce que ...
- Crache le morceau.
- Je ... je t'aime.

Je me tétanisai sur place.
Il leva sa main gauche et effleura ma joue.
Je m'écartai brusquement.

Ses yeux s'assombrirent, et il fixa l'horizon derrière la ligne des arbres.
- Ecoute, je ...
- Ne ta fatigue pas Matt, je n'en vaux pas la peine.
Tu ne vois pas que toutes les filles sont dingues de toi ?
- Je n'en vois qu'une.
- Tu sais, dans quelques années, j'en serais capable. Mais là ... je ne suis pas encore prête.
- J'attendrai le temps qu'il faudra.
Je me levai brusquement.
- Abandonne la partie, Matt. Je ne veux pas que tu gâches ta vie à cause de moi.

Avant d'écouter sa réponse, je regagnai rapidement ma chambre, et je m'affalai sur le lit.
J'étais vraiment désolée pour Matt. Il était un très bon ami, et j'étais triste de l'avoir blessé.

Une idée sotte me traversa l'esprit.
Voilà deux ans qu'il m'avait abandonnée. Il n'y avait plus rien à espèrer.
Je souris, malgré moi.
J'étais à la fois soulagée et infiniment triste.

Je regagnai le parc, et me rasseyai en face de Matt. Il me fixa, l'air triste.
- Je me suis trompée.
Sa main se reposa sur ma joue.
Il m'attira contre lui, et je me blottissais dans ses bras.

Le visage d'Alex, plus net que jamais, s'imposa alors à moi.
Je le chassai. Il ne pouvait pas me laisser tranquille, lui ?

- Merci, Matt, soufflai-je. T'es vraiment quelqu'un de bien.
- C'est ce qu'on dit toujours de moi.
Je souris.

Je soupirais, toc qui commençait à être fréquent chez moi.
J'avais tout, une amie géniale, un ... petit ami (ma gorge se noua à cette appelation), et pourtant ... j'étais encore mélancolique.

Inutile de chercher bien loin la raison à mon état mental.

Je sursautai quand on toqua à la porte.
Matt, comme d'habitude, entra avant que je réponde.
Il me fixa, puis sourit.
- T'as une sale tête, chérie.
Je prenais mon oreiller en duvet, et le lui balançait dans la figure.
Il éclata de rire, et me poussa sur le lit :
- Tu vas le regretter !

Il se laissa tomber sur moi, m'étouffant de son poids. Je gémis, et il se releva.
- Dommage que tu ne sois pas plus solide. Je suis loin de m'être vengé.
Il prit mon visage entre ses mains calleuses, résultat d'années d'escalade, et m'obligea à le regarder dans les yeux :
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Rien.
- Nola, arrête. Je te connais assez pour voir quand tu vas mal.
- Je n'ai pas envie d'en parler.

Comme une enfant de huit ans, je baissai les yeux. Il secoua la tête, puis se coucha à côté de moi. Nos bras se touchaient, et il prit ma main dans la sienne.
Nous contemplâmes le plafond pendant de longues minutes, et je perdis la notion du temps.
- Nola, tu voudrais bien être franche avec moi ? Ca fait trois mois qu'on sort ensemble, et j'ai l'impression que plus le temps passe, plus on s'éloigne l'un de l'autre.
- Je ne te cache rien.
- C'est ce que tu prétends ...

Je connaissais suffisament Matt pour savoir que ça ne durerait plus très longtemps si je m'acharnais à lui cacher ce qu'il voulait savoir.

- Parfait, dis-je. Tu as raison. Je n'aurais pas dû me renfermer ainsi. Que veux-tu savoir ?
Il réfléchit, et j'en profitai pour me coller encore plus à lui. Il me serra dans ses bras, où je savais que je pourrais rester pour l'éternité.
Ses cheveux bruns, à la coupe classique, chatouillaient mon oreille.

- D'où viens ton pendentif ? Tu sembles y attacher beaucoup d'importance, et pourtant, tu ne regardes jamais ce qu'il contient.
- Un ami me l'a donné avant qu'on se quitte.
- C'est lui qui hante tes pensées ?
Aïe. Matt était bien plus attentif que je ne le pensais.
Mais je l'aimais, et il me fallait être franche.
- Oui. C'était mon meilleur ami, et ... il a dû partir. J'ai eu l'impression d'être abandonnée. Et pour répondre à ta prochaine question, ce n'était qu'un ami.
- Je peux voir ce qu'il y a à l'intérieur de ton pendentif ?
- C'est une photo de lui et de moi.
Il prit délicatement ce pendentif entre ses mains et l'ouvrit. Je fermai les yeux, pour ne pas voir cette photo.
- Il semblairait que j'aie un rival, dit-il quelques minutes après.
S'il revenait, je suppose que tu le préférerais à moi.
- Je t'aime, Matt. Et je t'assure, encore une fois, que ce n'était qu'un ami. Il n'y a pas de rivalité qui tienne.
- Ca fait plaisir à entendre.
Juste encore une question. Je ne comprends pas pourquoi ... tu n'apprécies pas que je te touche.
- Tu crois que t'es en train de faire quoi, là ?

Je décelai un nouvel éclat dans ses yeux. J'aurais voulu me dégager de son étreinte, mais il me tenait trop fort pour que je puisse lui échapper.

Ce n'était pas, bien sûr, comme s'il n'avait pas mon accord. Mais je redoutais cela. Par contre, si je m'esquivai, encore une fois, il n'accepterait plus d'excuses.
Il se pencha vers moi, et pour la première fois, me donna un vrai baiser.

Lorsque ses lèvres se détachèrent des miennes, j'étais pour le moins confuse.
- J'embrasse donc si mal ? me demanda Matt.
- Non ... je ... je ne m'y attendais pas, c'est tout.
- C'est ce que font les couples en général. Et, tu sais, je suis prêt à retenter l'expérience, parce que je crois qu'on peut faire mieux ...

Je souriais.
- Je t'aime, chuchota-t-il.
Il se repencha et m'embrassa.

Mais rien, pas même le plus parfait des hommes, ne pouvait me faire oublier.
Alex ...